vendredi 26 octobre 2007

Rouler « propre » et accélérer la faim dans le monde ?

Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, met en garde contre les effets pervers du biocarburant

Jean Ziegler, rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, met en garde contre les effets pervers du biocarburant. Il proposera à l’Assemblée générale des Nations Unies un moratoire de cinq ans pour suspendre cette production et expérimenter des solutions alternatives.
« Un plein de 50 litres de biocarburant représente 226 kilos de maïs. De quoi nourrir un enfant mexicain pendant un an !

Un article de M Jean-Noel Cuénod diffusé en ligne sur La Tribune de Genève le 12 octobre 2007.

En roulant « propre » va-t-on accélérer la faim dans le monde ? Jean ­Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, en est persuadé. Il a expliqué ses craintes à Genève, en décortiquant le rapport qu’il présentera le 26 octobre à l’Assemblée des Nations Unies à New York. Un constat, tout d’abord, tiré de son rapport : « Le nombre de personnes souffrant de la faim est passé à 854 millions et augmente chaque année depuis 1996. »

Or, le développement des biocarburants, selon le rapporteur spécial, loin de diminuer la faim dans le monde va l’aggraver, si du moins on poursuit dans cette voie : « Cet empressement à vouloir subitement et de façon irréfléchie transformer un aliment, tel que le maïs, le blé, le sucre et le vin de palme en carburant revient à courir à la catastrophe. Cela risque d’entraîner une concurrence entre nourriture et carburant qui laissera les pauvres et les victimes de la faim des pays en développement à la merci de l’augmentation rapide du prix des aliments, des terres vivrières et de l’eau. » La logique semble, en effet, imparable : plus les surfaces de plantations nourricières sont transformées en cultures réservées au bioéthanol ou carburant pour voitures propres, plus les récoltes en produits nourriciers sont réduites et plus les prix des denrées augmentent, du fait de leur rareté.

Les prix prendront l’ascenseur

La production mondiale de biocarburant appelé aussi agrocarburant est actuellement dominée par les Etats-Unis et le Brésil. Selon l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, si cette production augmente, le maïs subira une hausse de prix d’environ 20% d’ici à 2010 et de 41% d’ici à 2020. Le prix des oléagineux (soja par exemple) et celui du blé prendraient l’ascenseur de façon semblable.

Cela dit, Jean Ziegler ne nie pas les effets positifs du biocarburant notamment sur le ­réchauffement climatique et même pour certains paysans de pays développés. Mais les effets négatifs devraient prévaloir, le modèle actuel de production de biocarburant sécrétant, outre les augmentations massives du coût des denrées, l’appropriation des terres en quelques mains. C’est pourquoi, il préconisera à l’Assemblée générale de l’ONU un moratoire de cinq ans comme il nous l’explique dans son interview.

« Un moratoire pour réfléchir à d’autres solutions »

Le Genevois Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, va donc jeter un gros pavé dans la mare des biocarburants, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies du 26 octobre.

En quoi consiste le moratoire que vous proposerez aux Etats membres de cette Assemblée ?

Ces Etats devraient donc imposer un moratoire, c’est-à-dire une suspension pendant cinq ans de toutes les opérations destinées à produire du biocarburant à partir de denrées alimentaires. Il s’agit d’évaluer les conséquences de cette production sur l’exercice du droit à l’alimentation et sur des autres droits sociaux et environnementaux. Rendez-vous compte qu’un plein de 50 litres de biocarburant représente 226 kilos de maïs. C’est-à-dire de quoi nourrir un enfant mexicain pendant un an !

Vous condamnez donc la production de biocarburant…

Pas forcément, puisque le moratoire a un caractère limité dans le temps. Et surtout, je ne m’attaque pas à toutes les formes de production de biocarburant sans CO2. Au contraire. Je souhaite vivement que ce moratoire soit mis à profit pour passer directement à la deuxième génération des biocarburants qui, eux, sont fabriqués à base de résidus de culture – les rafles de maïs par exemple. Autre solution possible : utiliser des plantes non nourricières pour les humains. On peut, en effet, produire du biocarburant avec des plantes incomestibles cultivées sur des terres arides ou semi-arides. Avantage : elles n’entrent pas en concurrence avec des terres utilisées pour la nourriture humaine et pourraient faire vivre de nombreux paysans dans des régions déshéritées.

Imedia

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