jeudi 21 février 2008

France : comment a-t-on pu s’engager aussi rapidement dans la production d’agrocarburants ?

C’est l’interrogation qui résume le mieux les conclusions du séminaire sur « Agrocarburants et développement durable » organisé à Grenoble par le service de la recherche du ministère de l’écologie les lundi 28 et mardi 29 janvier 2007.

En 2003, les principaux pays occidentaux ont engagé des plans ambitieux de développement des agrocarburants. Depuis lors, les études se sont succédées qui, pour l’essentiel, en ont démenti l’intérêt environnemental. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’ONU, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et la Chambre des communes britannique ont produit des rapports à la tonalité critique, ainsi que nombre d’articles scientifiques.

Des bilans énergétiques exceptionnels ou catastrophiques ?

« Les études de bilan énergétique des filières présentent des écarts gigantesques », a souligné Jean-Christophe Bureau, de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). On va ainsi d’un gain de onze unités d’énergie produites pour une consommée dans la chaîne de production des agrocarburants, à une perte de seize unités ! « L’analyse globale de ces études, a poursuivi M. Bureau, conduit à conclure que le coût de la tonne de rejets de CO2 évitée (par substitution aux hydrocarbures d’origine fossile) est bien supérieur à ce qui est recommandé. » Il atteint 300 euros pour l’éthanol d’origine végétale, quand le prix de référence en France est de 25 euros.

Impact environnemental : gare aux effets pervers

L’impact environnemental du développement projeté des agrocarburants en Europe est notable. Là, il se ferait par mise en culture des jachères. « Or de nombreuses espèces de plantes ou d’oiseaux sont déjà en situation précaire. Les mesures de protection ont beaucoup bénéficié des jachères, a indiqué Serge Muller, de l’université de Metz. Le développement des agrocarburants est incompatible avec l’engagement international qu’a pris la France de stopper l’érosion de la biodiversité en 2010. »

Des résultats surprenants sont apparus. Ainsi, en raison d’une mauvaise combustion, certains agrocarburants pourraient conduire à une augmentation des émissions de polluants atmosphériques, comme le protoxyde d’azote. De même, du fait que le colza absorbe mal l’engrais azoté, son développement en culture énergétique risque de provoquer une augmentation des pollutions de l’eau.

Quant aux agrocarburants dans les pays tropicaux, s’ils présentent des rendements énergétiques bien meilleurs (notamment la canne à sucre), leur développement se produit en partie par la déforestation. La concurrence avec les cultures alimentaires peut aussi être nuisible aux plus pauvres, en poussant les prix alimentaires à la hausse. En revanche, bien conduite, l’utilisation de la biomasse pourrait fournir des emplois aux paysans du Sud, qui en manquent cruellement, a souligné l’économiste Ignacy Sachs.

En fait, le développement des agrocarburants a été largement motivé par la volonté de soutenir les céréaliers des pays industrialisés, mis à mal des deux côtés de l’Atlantique par la baisse des subventions. « Quand la décision a été prise en 2003 en France de lancer le plan, dit Claude Roy, coordonnateur interministériel pour la biomasse, on n’a pas mesuré tous les impacts sur les marchés agricoles ou sur la biodiversité. Mais ces molécules sont aussi utiles pour la chimie : la vraie logique, c’est d’aller vers la chimie verte. »

Il reste que, concernant la prévention du changement climatique, les agrocarburants semblent d’un intérêt limité. « Le meilleur moyen est en fait de diminuer la consommation d’énergie », a résumé Patrick Criqui, de l’université de Grenoble. Une autre conclusion du séminaire a été la faiblesse des outils d’évaluation environnementale, sociale et économique, qui conduit les politiques à prendre des décisions mal informées.


Source : un article publié le 1er février 2008 sur le site Le Monde.

René Massé

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